La notion de discrimination est d’une grande complexité. Bien qu’explicitement définie par la loi, elle demeure difficile à établir, alors qu’elle peut avoir des conséquences importantes sur les personnes qui en sont victimes…
Agir face à une situation de discrimination au travail, dans un contexte professionnel, représente donc un défi et requiert une approche prudente et bien informée. Sur cette page, nous mettrons en lumière les différents aspects de cette complexité et proposerons des pistes d’action concrètes pour agir face à la discrimination au travail ou la prévenir.
Discrimination au travail : définition et enjeux
Qu’est-ce que la discrimination au travail
La notion de discrimination est traitée dans les articles 225-1 à 225-4 du Code pénal. C’est un délit et son auteur s’expose à des peines d’amendes et d’emprisonnement. La discrimination est définie comme toute distinction, exclusion, restriction ou préférence, directe ou indirecte, fondée sur un motif prohibé, lorsqu’elle a pour effet de porter atteinte à l’égalité de traitement des personnes lorsqu’une telle distinction n’est pas justifiée par un motif objectif et raisonnable.
Le Code du travail reprend les termes de cette définition dans ses articles L1132-1 à L1132-4, qui traitent de la discrimination au travail. La discrimination consiste donc en une rupture de l’égalité de traitement entre les personnes, fondée sur des motifs prohibés, c’est-à-dire exhaustivement et précisément arrêtés par la loi.
Il y a donc discrimination au travail lorsqu’une personne est traitée différemment en fonction de
- son origine,
- son sexe,
- ses mœurs,
- son orientation sexuelle,
- son identité de genre,
- son âge,
- sa situation de famille ou de sa grossesse,
- ses caractéristiques génétiques,
- la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur,
- son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race,
- ses opinions politiques,
- ses activités syndicales ou mutualistes,
- son exercice d’un mandat électif,
- ses convictions religieuses,
- son apparence physique,
- son nom de famille,
- son lieu de résidence ou sa domiciliation bancaire,
- son état de santé,
- sa perte d’autonomie ou son handicap,
- sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français,
- sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte.
La discrimination directe est une discrimination manifeste et qui vise explicitement un groupe déterminé. Elle est souvent facile à établir, car elle est fondée sur un critère prohibé clairement identifié. C’est par exemple le cas d’un employeur qui refuse d’embaucher une personne en raison de son origine, qui licencie une personne en raison de sa religion ou encore qui qui refuse de promouvoir une personne en raison de son sexe.
La discrimination indirecte est plus difficile à identifier, car plus diffuse. Elle ne repose pas sur un motif prohibé en tant que tel, mais induit un impact défavorable sur un groupe déterminé. C’est par exemple le cas d’un employeur qui exige une condition de formation qui est discriminatoire pour un groupe déterminé, tel que les personnes en situation de handicap. Ou qui adopte une organisation du temps de travail qui a un impact défavorable sur une catégorie de personnel, tel que les femmes.
Les conséquences de la discrimination au travail
Les répercussions peuvent être nombreuses et graves pour la personne qui est victime de discrimination au travail. Au plan professionnel parce qu’elles sont susceptibles d’impacter directement le déroulement de sa carrière, elles peuvent aussi être lourdes de conséquences au plan personnel.
Il est donc communément admis d’identifier les conséquences directes de la discrimination au travail qui découlent du traitement défavorable dont a été victime la personne au niveau professionnel. La plus évidente est bien sûr la perte d’emploi, qui peut survenir quand la victime est licenciée en raison de son appartenance à tel ou tel groupe. Il peut également s’agir d’une question salariale lorsque la victime est moins bien payée qu’un salarié dans une situation comparable, en raison de son appartenance à un groupe déterminé. Ou encore d’une perte d’opportunité dans le cas d’une victime qui serait moins promue qu’un autre salarié.
Les conséquences de la discrimination au travail sont également nombreuses sur le plan personnel. Elles viennent fortement altérer des domaines qui ne sont pas strictement liés à l’exercice de l’activité professionnelle et au traitement défavorable dont a été victime la personne, mais qui en découlent. Elles peuvent se traduire par exemple par un sentiment d’humiliation, d’injustice, de colère, d’isolement, de dévalorisation… Elles ont des effets sur la santé mentale de la victime, stress ou détresse psychologique. Elles affectent autant sa motivation et sa productivité sur le plan professionnel, que son comportement relationnel général dans sa vie sociale et familiale.
Comment traiter la discrimination au travail ?
Arrêtons-nous un instant sur une particularité relative à la discrimination au travail, qui la rend complexe à aborder et à traiter. La difficulté réside dans le fait que ce qui est en jeu n’est pas tant un geste, un événement ou une situation, mais plutôt la motivation qui les a engendrés. En effet, il peut être tout à fait justifié et accepté de refuser une augmentation à un employé. De même qu’il est tout à fait légal et moralement acceptable de prendre une décision négative à la suite d’un entretien d’embauche. Cependant, il est strictement interdit de le faire sur la base des critères de discrimination évoqués précédemment.
Apporter la preuve de la discrimination au travail
A quelques rares exceptions près (liées à des domaines où prévaut la protection en situation de déséquilibre des forces en présence), la règle commune du droit français est que la charge de la preuve revient à la partie accusatrice, qui doit établir la preuve des accusations qu’elle porte.
En matière de discrimination au travail, tel n’est pas le cas. Le code du travail précise que la victime doit simplement présenter des faits qui peuvent faire supposer l’existence d’une discrimination, sans avoir à en établir la preuve ou à en faire la démonstration. C’est à la partie mise en cause de “prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination” (Art. 1134-1 du code du travail)
Encore une fois, la non-discrimination n’est pas un principe absolu. Il arrive naturellement dans la vie des entreprises et dans la vie professionnelle que des inégalités de traitement entre salariés se manifestent en fonction de la qualification, de l’ancienneté, d’une évaluation, etc…
La loi prévoit même les situations où des différences de traitement fondés sur les motifs prohibés comme l’âge, le sexe, le handicap, etc… sont envisageables, essentiellement à des fins de protection des personnes. (Tous les détails dans la fiche pratique du ministère de travail). Il appartiendra donc à l’employeur de démontrer que sa décision repose sur des critères objectifs, qu’elle est fondée sur une exigence professionnelle légitime et proportionnée.
Les obligations préventives de l’employeur
La première des obligations de l’employeur est de prévenir les discriminations dans son entreprise. Il s’agit ici de mettre à la disposition des salariés les textes relatifs aux discriminations et à l’égalité femmes-hommes.
L’employeur, dans les entreprises de plus de 300 salariés, doit également rendre possible l’accès à une formation aux collaborateurs chargés du recrutement. Sujet sur lequel l’effort devrait plus particulièrement porter dans les années à venir puisque le gouvernement a présenté en janvier 2023 un plan national 2023-2026 de lutte contre la haine et les discriminations dans lequel est prévu un développement du testing en matière de discrimination à l’embauche.
Le traitement d’une situation de discrimination au travail
La victime peut signifier directement à son employeur qu’elle considère subir un traitement discriminatoire. Cette interpellation peut également être faite par l’intermédiaire d’un membre du CSE (Comité social et économique), dans les entreprises où il est en place, à la demande de la victime ou non.
L’employeur peut également être saisi de la situation de discrimination collective dans le cadre d’une action de groupe, c’est-à-dire d’une action portée par une organisation syndicale pour le compte de plusieurs salariés victimes de la même situation.
Toute personne peut également saisir, gratuitement, le Défenseur des droits et demander son accompagnement (accueil téléphonique et information sur les discriminations au 09 69 39 00 00).
Nous avons déjà évoqué l’obligation de prévention de l’employeur. Au-delà de cette dimension préventive, il est exigé de l’employeur qu’il agisse dans la lutte contre les discriminations au travail, domaine dans lequel sa responsabilité, civile comme pénale, peut être engagée au titre de l’obligation de sécurité qui est la sienne.
L’employeur ne peut donc rester passif. Dès qu’il est informé d’une allégation de discrimination, il doit diligenter une enquête interne, de la même manière qu’en matière de harcèlement. Si les faits sont avérés, il doit sanctionner la personne ou le groupe de personnes à l’origine de la discrimination. Si la discrimination rapportée est collective et s’inscrit dans une action de groupe, l’employeur dispose d’un délai d’un mois pour informer le CSE et d’engager avec lui le travail sur les actions à entreprendre pour corriger la situation et mettre fin à la discrimination.
Dans l’hypothèse où une solution n’est pas trouvée avec l’employeur, soit qu’il ne réagisse pas comme il le doit, soit qu’il conteste la réalité de la discrimination, le salarié (ou le membre du CSE ayant expressément receuilli son accord) est fondé à saisir le Conseil de Prud’hommes et à demander qu’il statue en procédure accélérée afin de faire cesser la discrimination.
A quelles sanctions s’expose donc l’auteur de discrimination au travail ?
Au plan civil, devant le Conseil de Prud’hommes, la première mesure sera de faire cesser la discrimination et par conséquent d’annuler la mesure porteuse de discrimination (licenciement, mesure disciplinaire, refus d’évolution, etc…). Il pourra être également ordonné une éventuelle réparation du préjudice subi par la victime.
Il peut également y avoir un volet pénal en matière de discrimination au travail, si la victime considère que la discrimination est intentionnelle, et que cette intentionnalité est établie. Dans ce cas, elle devra saisir le Procureur de la république et déposer plainte. La discrimination constitue alors un délit et relève des sanctions pénales prévues en matière de discrimination pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende.
La recherche d’une solution amiable
Nous l’avons vu, la question des discriminations au travail est complexe. D’abord, parce que les effets discriminants de telle ou telle situation peuvent être indirects. Ensuite, pour autant qu’ils soient réels, parce qu’ils peuvent ne pas avoir été intentionnellement visés. Enfin, parce que le contexte professionnel conduit les parties concernées à se projeter dans la suite de leurs relations de travail.
La nécessité pour l’employeur comme pour la victime de poursuivre la relation peut être partagée. La décision porteuse de discrimination peut certes être annulée, et les mesures correctives prises. Mais pour autant, au sortir d’une situation de discrimination au travail, qu’en est-il de la motivation et de la capacité à poursuivre une collaboration, à travailler ensemble ?
La médiation peut être une démarche utile et efficace, parce qu’elle accompagnera les acteurs vers une compréhension des besoins et des intentions réels de toutes les parties concernées. Elle pourra faire émerger des solutions fondées sur des engagements réciproques dans les relations à venir.
En conclusion
La question de la discrimination au travail, nous l’avons vu, est clairement définie par la législation française. Elle est pour autant plus difficile à aborder que sa stricte définition, car elle peut être questionnée par des notions beaucoup plus friables comme les effets indirects, l’intentionnalité, les ressentis. Elle peut avoir des répercussions majeures pour les personnes qui en sont victimes comme pour les acteurs économiques et leur responsabilité sociale. Autant de raisons d’en faire un thème d’un dialogue entre tous les acteurs de la qualité de vie au travail. Ce dialogue peut être grandement facilité par la présence d’un tiers indépendant, tel qu’un médiateur, qui facilitera la qualité de ce dialogue.