Les premiers soins lors d’une dispute

Olivier Chambert-Loir, médiateur, assiste les personnes comme les collectifs dans leurs efforts pour dialoguer, ajuster leurs comportements et améliorer leurs interactions. Il se met au service des organisations humaines (entreprises, associations, familles, collectivités…) qui recherchent et valorisent l’autonomie, le développement et l’épanouissement des personnes, ainsi que l’ouverture, le dialogue et la coopération. Il leur offre simplicité, authenticité et empathie, en résistant aux jugements, aux sentiments de toute puissance et aux pulsions directives. Nosconflits l’interroge aujourd’hui sur les premiers soins lors d’une dispute.

L’article suivant est une simple retranscription des réponses à nos questions.

Quel est l’état émotionnel d’une personne prise dans une dispute ?

Quand on se dispute avec quelqu’un, c’est un peu pareil que dans toute situation où l’interaction devient conflictuelle. 

L’émotion peut être variable : de la peur, de la colère, de la rage, de la tristesse… mais ce qui est caractéristique, c’est d’être débordé par les émotions en question, et donc en perte de calme, de lucidité et de capacité à analyser les choses, à les mettre en ordre, à prendre des décisions…

L’effet de la dispute, c’est que les émotions prennent le dessus sur les capacités cognitives dont on a normalement la maîtrise. 

Ce débordement émotionnel induit un autre effet : une fermeture à l’autre, qui peut se manifester de différentes manières :

  • par de l’agressivité, de l’hostilité, des attaques ou des phénomènes de défense, qui se matérialisent par des attaques
  • ou par un évitement, une fuite
  • parfois par une forme de sidération ou de blocage. 

Je suis débordé par mes émotions, je perds le sens des choses, ma stabilité… je suis fragilisé, et cela entraîne un comportement dans la relation à l’autre, qui est modifié aussi… ce qui se manifeste soit par de l’agressivité, de l’attaque, soit par du repli sur soi, au sens où j’évite le contact. 

La dispute ce n’est pas forcément des éclats de voix c’est aussi de la bouderie, de l’évitement… 

Et quels sont les premiers soins face à une dispute ?

La prise de conscience

Le premier point c’est la prise de conscience. Il s’agit tout simplement de se rendre compte de l’état dans lequel ça nous met, et pourquoi pas de se rendre compte aussi de l’état dans lequel ça met l’autre, parce que c’est un peu symétrique : on « s’entre-agace », éventuellement on s’attaque et contre-attaque… et donc la première chose qu’on peut espérer pouvoir faire, c’est se rendre compte qu’on est en train de partir dans cette mauvaise voie. 

Cela peut s’annoncer par des signes physiologiques :  augmentation du rythme cardiaque, transpiration, boule au ventre, rouge aux joues, tremblements, une forme de fébrilité…

Et puis sentir l’agacement qui monte, sentir aussi les comportements que ça engendre : soit j’ai peur et je m’enfuis, soit je réponds du tac au tac et j’attaque de manière un peu inconsidérée, je viens piquer par vengeance….

Il s’agit donc de se rendre compte qu’on s’écarte de son point d’équilibre et qu’on a un comportement qui n’est pas celui qu’on aimerait avoir, ou qu’on a l’habitude d’avoir en temps normal. Une sorte d’éclair de lucidité qui permet de se rendre compte qu’on est en train de « partir en vrille ».  On peut aussi observer chez l’autre une réaction, un débordement émotionnel ou une réaction d’évitement ou d’attaque provoquée par quelque chose qu’on a dit ou qu’on a fait. 

Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’idée de prendre conscience qu’il est en train de se passer quelque chose. Et à partir du moment où je m’en rends compte, j’augmente mes chances de retrouver les moyens d’enrayer la machine, de me dire que je dois prendre un moment pour respirer, rétablir le tir si j’en ai la capacité. Ou bien, pendant le moment de non-communication qui suit le moment de dispute, je repense à tout ça et j’essaie de me calmer, de voir comment reprendre contact avec l’autre. 

La prise de décision

Ce qui vient juste après la prise de conscience, et c’est le deuxième point, c’est la prise de décision, le choix de faire autrement. Et c’est là qu’interviennent nos expressions populaires comme faire le premier pas, faire un pas en avant, aller vers l’autre… aller toquer à la porte et proposer de trouver un moment pour parler calmement. 

J’ai pris conscience qu’il s’est passé une chose qui ne correspond pas à la façon dont j’aime que mes relations soient avec l’autre, et à l’occasion de laquelle je me suis comporté d’une manière qui ne me plaît pas. Et je choisis d’essayer de faire autrement, donc ça implique une reprise de contrôle sur soi et une réouverture à l’autre, au sens où je fais une démarche pour rétablir la connexion d’une manière plus constructive. 

Cela implique aussi un travail sur l’amour propre : qui fait le premier pas ? A partir du moment où j’ai pris conscience que cette chose-là s’est mise en route, et que ce n’est pas comme ça que je veux que cette relation soit, j’assume de prendre la décision de faire le premier pas, de réouvrir le jeu.

Identifier ce qui est important pour soi et pour l’autre

Et j’essaie de le faire en me respectant moi-même et en respectant l’autre, c’est-à-dire sans chercher à avoir raison, mais en me recalant sur deux choses :

  • La première est d’affirmer ce qui est important pour moi, de dire par exemple pourquoi je ne me suis pas senti respecté, de dire de quoi j’ai besoin…
  • La deuxième, symétrique, est de se dire que l’autre aussi a le droit de trouver dans cette interaction, dans cette discussion, dans cet échange, quelque chose de satisfaisant pour lui… et donc la moindre des choses que je puisse faire c’est de l’écouter et d’essayer de comprendre ce qui est important pour lui. 

Donc cette recherche d’affirmation de ce qui est important pour moi et d’écoute de ce qui est important pour l’autre, pour qu’elle puisse être utile, porteuse de fruits, autant que possible, il faut la débarrasser de la recherche d’un résultat concret tel qu’obtenir gain de cause, ou avoir raison… Il faut commencer par dire ce qui est important pour soi, essayer de comprendre ce qui est important pour l’autre. Ensuite on peut discuter, négocier, trouver des compromis… mais c’est encore autre chose. 

Une démarche naturelle 

En fait, c’est quelque chose qui nous arrive quotidiennement, ces petites prises de conscience et ces petites prises de décisions.

Par exemple, quand on commence à discuter avec quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis longtemps, et que cette personne dit un truc qui nous agace, par exemple à propos d’un sujet de société ou de politique. Ou encore avec son conjoint en parlant des enfants, des vacances, des beaux-parents…

Et dans l’interaction, à un moment il se passe quelque chose, il y en a un qui pique l’autre et puis il y a cette spirale, cette escalade qui se met en route, où on s’agace mutuellement, et où, comme on ne trouve pas le temps de reprendre son souffle et de se calmer, on pique en retour. 

Quand je dis qu’on a l’expérience du rétablissement ou de la transformation de cette mécanique au quotidien, c’est que bien souvent on se rend compte de ce qui est en train de se passer, et on fait ce petit effort de réajustement immédiat. On reprend un mot dont on a vu qu’il a choqué l’autre, on se calme un peu, on fait un petit effort d’attention à l’autre et ça rétablit les choses. 

Quelque fois on arrive à le faire dans la foulée de ce qu’on a constaté, d’autres fois ça vient un peu après, ou plus longtemps après. On peut se faire la gueule pendant une heure, une journée, une semaine, un mois, ça peut même durer 10 ans, mais à un moment donné il y a des processus de reconnexion, de réconciliation qui se mettent en place. 

L’un ou les deux opèrent ce qu’on a décrit tout à l’heure et décident de faire un pas vers l’autre. Depuis qu’on a des interactions avec les autres, on fait tous ça quotidiennement… à l’occasion d’un repas de famille, d’une réunion au boulot, d’un accrochage en voiture, d’une bousculade dans le métro. 

Le premier mouvement est d’agresser l’autre bien sûr, mais finalement on se dit « non, je suis un être humain, je suis sociable »… ou alors, « j’ai avec cette personne une relation qui a de l’importance et je fais un effort pour réajuster le tir ». 

Ma conviction est qu’on en a une très grande expérience, qu’on sait très bien le faire, et que la plupart du temps on arrive à sortir de cette mécanique infernale de la dispute ou du conflit. 

Et si on n’arrive pas à en sortir seul ?

La réponse est un peu dans la question ! On a tous une longue expérience de la possibilité de bénéficier de l’intervention d’un tiers, un ami, un membre de la famille, un collègue. 

Bien sûr avec le risque qu’ils ne soient pas de bon conseil, et qu’ils aillent parfois plutôt dans le sens de l’aggravation des choses, par exemple quand ils prennent parti. 

Mais bien souvent cela peut être quelqu’un qui attire notre attention sur le fait que peut-être on abuse un peu, qu’on est en train de tourner en boucle ; quelqu’un en qui on a confiance, un proche qui nous aide dans ce processus de prise de conscience et de prise de décision. Il est souvent possible de bénéficier d’un appui externe de ce type. 

Si on ne peut pas se débrouiller comme ça, seul ou avec quelqu’un de son entourage, on peut toujours faire appel à des professionnels pour nous aider. Je suis bien placé pour le savoir puisque que c’est mon métier… 

Donc quelqu’un qui va nous soutenir dans nos efforts pour rétablir le dialogue avec l’autre.

Le simple fait de faire la démarche d’aller chercher un tiers à l’extérieur pour nous aider à rétablir le dialogue, l’interaction avec l’autre, c’est déjà une très grosse décision ; dans ma discipline on appelle ça de l’empowerment. 

Et c’est déjà aussi un gros mouvement d’ouverture, de reconnaissance de l’autre que de montrer une envie de rétablir le contact avec cette personne, et d’aller chercher en plus de l’aide à l’extérieur pour le faire. 

Cela signifie que quand on a l’impression d’être arrivé à un point de blocage dans un conflit et qu’on va chercher une aide extérieure, on a déjà entamé le processus de résolution de ce conflit. 

Mais, encore une fois, c’est vraiment la dernière extrémité. Je ne prêche pas pour ma paroisse en disant ça, mais la plupart du temps, on peut sortir tout seul, même d’un conflit grave et durable. Ainsi des frères et sœurs qui se sont disputés gravement et qui ne se sont pas parlé pendant 10 ans… parfois à la suite du cheminement de l’un d’entre eux par exemple, il peut y avoir une initiative prise par l’une de ces personnes-là pour rétablir le contact avec l’autre et là il y a un cercle vertueux qui s’enclenche et on n’a pas fait appel à un médiateur pour autant. 

Donc ma conviction est qu’on peut sortir par ses propres moyens, y compris de la spirale infernale d’un conflit qui a vraiment dégénéré. Encore faut-il s’en être rendu compte et l’avoir décidé : avoir une motivation qui nous amène à décider d’inverser la tendance.

Lire aussi :
Robert A. BARUCH BUSH, Joseph P. FOLGER : La médiation transformative – une approche non directive du conflit, traduit par Pauline et Olivier CHAMBERT-LOIR avec la contribution de John-Peter WELDON

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