Mère et fille, incompréhension et blessures

Mère et fille, incompréhension et blessures

Sylvia, 70 ans, vit en couple à Paris et rend visite chaque semaine à Hanna, sa mère, âgée de 95 ans. Même si elle ne sort plus de chez elle, Hanna est autonome, et c’est même une personne très sociable, qui garde le contact avec ses voisins. Mais Sylvia se dispute en permanence avec elle, lui reprochant son manque d’affection. Mère et fille vont-elles réussir à retrouver une relation sans arrières pensées ?

Sylvia referme son parapluie en pénétrant dans le hall de l’immeuble. La pluie de novembre ruisselle sur son trench beige, et elle pousse un soupir las. Comme à chaque visite, elle sent que son estomac se noue. Elle aime sa mère, bien sûr. Mais leurs échanges finissent trop souvent en disputes. 

Hanna, 95 ans, vit seule dans ce vieil immeuble du 14e arrondissement, depuis la mort de son mari, vingt ans auparavant. Malgré son grand âge, elle reste alerte et sociable. Dans l’immeuble, tout le monde la connaît : la voisine du troisième lui monte ses courses et son courrier, la concierge s’arrête pour prendre un café avec elle, et les dames du premier lui amènent parfois des petits plats. En somme, elle est entourée, choyée même, et Sylvia trouve cela admirable. Ce qui l’agace en revanche, c’est que Hanna ne semble jamais lui accorder, à elle, sa propre fille, la même attention. 

Incompréhension et blessures

— Maman ? lance Sylvia en entrant. 

Hanna, assise dans son fauteuil près de la fenêtre, lève à peine les yeux de son magazine. 

— Ah, Sylvia. Tu es venue, finalement. 

Cette phrase, anodine en apparence, fait monter une vague d’agacement chez Sylvia. C’est toujours comme ça : sa mère lui donne l’impression qu’elle ne s’attend jamais à la voir, comme si ses visites hebdomadaires n’étaient pas une évidence. Elle pose son sac et s’installe en face d’elle. 

— Oui, comme tous les mercredis, Maman. 

Hanna hoche vaguement la tête et continue son tricot. Un silence s’installe, seulement troublé par le cliquetis des aiguilles. Sylvia finit par prendre la parole. 

— Maman, il faut qu’on parle. 

Hanna lève un sourcil.

— De quoi ? Tu veux encore me dire que je ne t’ai pas assez embrassée quand tu étais petite ? 

— Ce n’est pas une plaisanterie, Maman. Je veux qu’on fasse une médiation. 

Elle  s’arrête net. Hanna pose son ouvrage sur ses genoux et la regarde avec cet air mi-sceptique, mi-amusé qui a toujours eu le don d’exaspérer sa fille. 

— Une médiation ? Sylvia… Mais enfin, on n’est pas en guerre ! 

— Alors pourquoi est-ce qu’on se dispute tout le temps ? Pourquoi ai-je toujours l’impression que tu es plus proche de tes voisins que de moi ? 

Un silence gênant s’installe. Pour la première fois, l’amusement disparaît du regard de Hanna. 

— Tu exagères, ma fille. 

— Non, je ressens ça, et depuis toujours. J’ai besoin qu’on parle, qu’on essaie de comprendre pourquoi c’est si difficile entre nous. J’ai contacté une médiatrice familiale. Ce n’est pas pour t’accuser de quoi que ce soit, juste pour nous aider à mieux communiquer. 

Hanna soupire et détourne le regard vers la fenêtre. Dehors, la pluie redouble. 

— Et tu crois que c’est une étrangère qui va nous apprendre à nous parler ? 

— Parfois, une tierce personne permet de dire les choses différemment. Et peut-être de les entendre autrement aussi. 

Sylvia attend, le cœur battant. Sa mère est fière. Elle peut refuser net. Mais contre toute attente, elle finit par dire doucement. 

— Bon. Si c’est si important pour toi… 

Mère et fille reprennent contact

Dans la petite salle de la médiatrice, un ameublement simple et chaleureux les accueille. La médiatrice, une femme au regard bienveillant, les invite à s’installer. Elle explique brièvement son rôle, insistant sur l’écoute et le respect de la parole de chacune, et les invite tout d’abord à s’exprimer sur ce qui les amène dans ce lieu. 

— Si je comprends bien, Sylvia ressent un manque de proximité avec vous, Hanna. Qu’en pensez-vous ?

Hanna pince ses lèvres. Elle ne comprend pas ce que sa fille voulait d’elle. Elle l’avait élevée, nourrie, éduquée. N’était-ce pas suffisant ? 

— J’ai toujours été là, affirme-t-elle. Peut-être pas comme Sylvia l’aurait voulu, mais j’étais là. 

— Tu étais là, physiquement, rétorque Sylvia. Mais j’ai toujours eu l’impression que tu étais plus chaleureuse avec les autres qu’avec moi. 

— Mais ce n’est pas vrai ! 

— Pourtant, tu n’as jamais été capable de me prendre dans tes bras, de me dire que tu m’aimais. 

— Parce que ce n’était pas comme ça, à mon époque ! On montrait son amour autrement ! 

La médiatrice intervient doucement. 

— Comment, par exemple ? 

Hanna hésite, puis hausse les épaules. 

— J’ai toujours fait ce qu’il fallait. J’ai tenu la maison alors que son père travaillait dur pour gagner notre vie, j’ai fait comme j’ai pu. J’ai peut-être été sévère, mais je voulais aussi qu’elle soit forte. 

Sylvia baisse les yeux. Ces mots, elle les attendait depuis si longtemps. 

— Je n’avais pas besoin d’être forte, Maman. J’avais besoin d’être aimée, et de le sentir. 

Le silence qui suit est plus profond que les précédents. Hanna se racle la gorge, visiblement mal à l’aise. 

— Je t’aime, Sylvia. Mais je ne sais pas comment te le montrer autrement qu’en étant là. Peut-être que… je pourrais essayer de faire différemment. 

Sylvia sent sa gorge se nouer. Elle sait que c’est beaucoup, pour sa mère, de simplement reconnaître cela. 

Le reste de la séance leur permet d’échanger sans colère. Elles repartent avec une nouvelle promesse : essayer, chacune à leur manière, de se comprendre. 

Quelques jours plus tard, Sylvia reçoit un appel de sa mère. 

— Venez dîner ce soir. J’ai préparé ton plat préféré.

Avec cette simple invitation, Sylvia comprend que quelque chose a enfin changé.

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