Trois heures par semaine. C’est le temps passé par les salariés à gérer des conflits avec leurs collègues, selon une étude de l’Observatoire du coût des conflits au travail. Ces 3 heures par semaine représentent 20 jours par an donc un mois entier de temps passé – perdu – à traiter les petites confrontations du quotidien avec ses collègues, qui peuvent se transformer en conflits ouverts générateurs de stress, de mal-être et de souffrance au travail.
Pour les chefs d’entreprise l’enjeu est très important. D’abord parce que l’employeur a l’obligation pénale de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Ensuite parce que pertes de productivité générées par les conflits chroniques non réglés sont évitables. On estime par ailleurs que ces conflits sont un facteur décisif dans au moins 50% des départs de salariés…
Les conflits entre collègues de travail peuvent être traités. Il est possible et même indispensable d’y mettre un terme pour préserver sa santé mentale et s’épanouir dans son cadre professionnel. Identifier la nature du conflit, adopter les bonnes attitudes, savoir faire appel à des ressources extérieures, telles sont les clés d’un retour à une situation durablement apaisée. L’employeur ou le manager, quant à lui, se doit d’être attentif à ses situations, en intervenant à bon escient pour en faciliter le règlement.
Quand des conflits entre collègues de travail affectent la vie professionnelle
Les conflits font partie de la vie. Nous les affrontons tous dans nos sphères familiales, amicales, et bien sûr professionnelles. Ces conflits du quotidien, nous avons tous en nous la capacité de les gérer et de les dépasser, presque sans nous en rendre compte. Ils n’ont généralement pas de conséquences dommageables et permettent même bien souvent de faire évoluer positivement une situation vers un nouvel équilibre satisfaisant pour chacun.
Rappeler à son ado les règles de vie à la maison, négocier avec un artisan le montant de son devis, dire non à un ami qui vous demande un énième service … ou indiquer à sa collègue qu’il est malvenu de demander un coup de main sur un dossier un vendredi à 18 heures. Ces petites confrontations sont monnaie courante et le plus souvent bien gérées/digérées de part et d’autre, même si elles nécessitent quelques compétences relationnelles : fermeté mais bienveillance, énoncé de ses propres besoins, gestion de ses émotions…
Un différend entre collègues devient un conflit lorsqu’il affecte la vie professionnelle, perturbe l’activité, complique le bon accomplissement des taches ou des missions qui sont les nôtres. Le conflit avec un collègue de travail se fonde généralement sur des confrontations régulières, mais peut aussi aboutir à la disparition de toute forme de relation entre les protagonistes au sein de l’organisation. Il est d’autant plus dommageable et difficile à traiter qu’il est ancien.
Le conflit entre collègues est spécifique car il ne met pas en scène des individus ayant entre eux un lien hiérarchique identifié. Placés sur un pied d’égalité (souvent théorique : des liens hiérarchiques subtils liés par exemple à l’ancienneté sont légion dans les entreprises), les collègues de travail sont condamnés s’entendre pour participer efficacement à la bonne marche de l’organisation !
Les types de conflits entre collègues de travail
Conflits de pouvoir ou d’autorité
Martin et Nicolas sont chargés de développement commercial dans une société de services informatiques, tous deux chargés des grands comptes. Régulièrement, Nicolas fait usage de son réseau professionnel pour établir des contacts avec des entreprises qui relèvent de secteurs dévolus à Martin. Ce dernier vit de plus en plus mal ces incursions, d’autant que Nicolas n’hésite pas à lui donner des instructions pour prendre en charge ces nouveaux prospects.
Conflits d’ambition
Christelle et Jocelyn sont jeunes cadres au sein du service marketing d’une grande entreprise de l’agroalimentaire. Christelle joue à fond la carte « politique » en s’appropriant les missions lui donnant un maximum de visibilité auprès de la direction générale. Elle se valorise en permanence, au détriment de Jocelyn qui effectue pourtant un travail indispensable mais ne supporte plus de servir de marchepied aux ambitions de sa collègue.
Conflits de compétences
Laetitia et Stéphanie sont secrétaires-assistantes au sein d’un cabinet d’avocats et doivent collaborer sur le suivi d’un certain nombre de dossiers juridiques. Perfectionniste, Laetitia est organisée et assure ce suivi de façon rigoureuse et professionnelle. Les accrochages sont nombreux avec Stéphanie, qui selon elle exerce ses taches de façon superficielle et ne tient pas compte des délais imposés. Laetitia en vient à traiter ces dossiers par elle-même et en veut à Stéphanie, qu’elle qualifie d’incompétente à qui veut l’entendre au sein du cabinet.
Conflits de valeurs
Mathieu est salarié au sein d’un service logistique. Emballage des produits, expédition, suivi de livraison, il met un point d’honneur à assurer une prestation optimale au bénéfice des clients de l’entreprise. Il constate que ses collègues sont moins pointilleux et rechignent à appliquer les consignes qualité de l’entreprise, qu’ils trouvent trop contraignantes. Ses relations avec eux se sont dégradées, certaines altercations ont été violentes et il déjeune seul à la cantine.
Conflits liés à l’organisation
Solène et Franck sont chargés de clientèle dans une petite agence de relations publiques. Surchargés de travail, ils doivent partager des moyens limités : un seul stagiaire dans l’agence, une salle de réunion souvent occupée, des services généraux trop sollicités. Franck reproche à Solène de prétexter l’urgence pour s’accaparer les ressources à son détriment. Les éclats de voix sont quotidiens et l’ambiance électrique.
Conflits liés à la personnalité ou au comportement
Magali est employée au service comptabilité d’un grand syndicat professionnel. Elle a eu une altercation violente avec Karine, une assistante du service communication qui faisait courir sur elle des rumeurs malveillantes. Elle considère que Karine prend plaisir à manipuler ses collègues, à monter les uns contre les autres pour se placer en permanence au centre du jeu. Aujourd’hui deux clans se font face au sein de l’administration du syndicat : les soutiens de Magali qui lui savent gré d’avoir eu le courage de dire son fait à Karine, les soutiens de Karine qui font bloc autour d’elle.
Les conflits entre collègues peuvent impacter la santé
C’est le syndrome de la boule au ventre. Lorsque la perspective d’aller au travail déclenche des manifestations d’anxiété voire d’angoisse, c’est que nous nous apprêtons à vivre une journée de travail sous stress. Ponctuel, habituel ou permanent, le stress est généralement provoqué par une inadéquation entre l’ampleur ou la difficulté de tâches à accomplir et les moyens alloués (pression du temps, manque de ressources …) pour les mener à bien. Mais le stress peut aussi être généré par des tensions relationnelles.
Dissensions, éclats de voix, mutisme, altercations, mises à l’écart, ces manifestations de conflits latents ou de conflits ouverts avec des collègues de travail ne sont pas sans conséquences lorsqu’elles s’installent durablement :
- Au plan physique, les tensions musculaires, les maux de tête et bon nombre de douleurs sont directement reliées à l’état de stress provoqué par les conflits. La fatigue accumulée par le manque de sommeil fragilise également l’organisme.
- Au plan mental, les ruminations, les pensées négatives, l’agressivité, l’envie d’en découdre ou à l’inverse la peur de l’affrontement, l’anxiété, l’irritabilité, la perte de confiance peuvent conduire à l’isolement, l’épuisement mental, la dépression ou le burn out.
Si les performances individuelles sont bien entendu impactées, avec d’éventuelles conséquences en termes d’avancement professionnel ou de sanctions disciplinaires, les performances collectives peuvent l’être également. Les conflits non résolus avec des collègues sont une source importante de licenciements, de ruptures conventionnelles ou de démissions.
Voir à ce sujet notre page ‘Stress et souffrance au travail’
Comment agir face à un conflit entre collègues ?
Etre aux prises avec un conflit au travail, qui plus est avec un collègue (ou plusieurs) que l’on est amené à côtoyer chaque jour, est une situation difficile à gérer. A la différence d’un problème, qui se résout généralement sans difficulté par un échange rationnel entre des individus désireux de le traiter positivement, un conflit se caractérise toujours par sa dimension émotionnelle. Pour traverser cette épreuve et retrouver l’apaisement, il est nécessaire d’adopter les bonnes attitudes… en évitant autant que possible celles qui aggraveront le conflit.
Affronter la situation
La peur du conflit est un sentiment partagé par la plupart d’entre nous. Le conflit nous entraine vers l’inconnu, nous expose et nous fragilise. Face à une situation conflictuelle, les personnalités dominées par cette peur auront tendance à faire le dos rond. Toutes les concessions seront faites pour ne pas envenimer la relation et éviter la confrontation qu’elles redoutent par-dessus tout. Ce faisant, elles renoncent à la défense d’intérêts qu’il serait pourtant légitime de défendre. Surtout, elles prennent le risque d’accumuler les frustrations. Souvent observé, l’effet cocotte-minute génère une explosion soudaine qui, apparaissant tardive et disproportionnée, porte la confrontation à son paroxysme !
Se méfier de ses émotions
C’est bien connu, la colère est mauvaise conseillère. De façon générale, les émotions qui nous traversent lorsque nous sommes aux prises avec une situation conflictuelle sont exacerbées, au point parfois d’envahir la totalité de notre espace mental. Notre capacité à raisonner est altérée, les émotions prennent les commandes et nous font agir de façon inadaptée. Des décisions que l’on est bien souvent amené à regretter !
Rester lucide
Notre lucidité est généralement la première victime des conflits dans lesquels nous sommes impliqués. Ces situations de stress génèrent en effet un ensemble de biais cognitifs qui déforment notre perception de la réalité objective en exploitant nos fragilités émotionnelles. Cette collègue qui ne pas salué ce matin, elle me méprise et se croit sans doute supérieure à moi… Ce collègue qui a fait une remarque sur mon travail devant toute l’équipe, il manœuvre pour me discréditer et prendre la direction du service, etc.
S’ils ne sont pas nécessairement à l’origine des conflits relationnels, ces malentendus, interprétations abusives et projections consistant à attribuer à l’autre des sentiments qu’il n’éprouve pas (ou pas forcément), constituent un puissant carburant à la spirale conflictuelle. La relation se dégrade au fur et à mesures des faits, sélectionnés par notre cerveau, qui viendront accréditer la thèse des mauvaises intentions de l’autre. Victime innocente de la volonté de nuire évidente de notre adversaire, nous sommes susceptibles de passer en quelques temps de l’hostilité sourde à son égard à la haine pure et simple.
Rester lucide, c’est d’abord avoir connaissance de ce phénomène de biais cognitifs et s’interroger : quels sont précisément les faits objectifs ? Dans quel contexte sont-ils intervenus ? Y a-t-il d’autres interprétations possibles ? Mon attitude, mon comportement, mes paroles ont-ils pu eux-aussi être mal interprétés ?
Faire preuve d’assertivité
S’expliquer entre adultes. L’expression est souvent synonyme d’agressivité et de violence, mais notre capacité à mobiliser la part d’adulte qui est en nous, gouvernée par sa raison (et non la part de l’enfant, soumise à ses pulsions) facilite la résolution des conflits. Si l’on est en mesure de maitriser ses émotions, d’exprimer calmement ses ressentis face à la situation conflictuelle, de reconnaitre sa part de responsabilité, d’écouter les ressentis de son collègue de travail, d’affirmer ses besoins, d’entendre ceux de son collègue, alors il est utile de solliciter une rencontre, sans témoins et à distance d’un épisode de crise.
Cette attitude exige bien sûr des capacités d’introspection et d’écoute active, parfois difficiles à mobiliser lorsqu’on est soi-même impliqué dans une situation conflictuelle. A noter que l’assertivité, si elle permet de résoudre des conflits au travail, permet surtout de les éviter !
Savoir demander de l’aide
Aux prises avec un conflit au travail, deux attitudes sont aussi dommageables l’une que l’autre. La première est celle du repli sur soi et de l’isolement, générateurs de troubles parfois importants aux plans physique et mental. La seconde consiste à s’épancher auprès de tous (sauf naturellement auprès du collègue concerné) pour rechercher l’approbation des tiers qui vont vous soutenir … mais aussi vous conforter dans vos biais cognitifs. Tu as raison, son attitude est inacceptable, il te déteste. Ces collègues ne seront généralement pas avares de conseils, plus ou moins avisés, qui dans la plus part des cas ne feront qu’aggraver la situation.
Entre ces deux voies, il est souhaitable de faire appel à un tiers qui, pas sa position dans l’entreprise ou ses qualités humaines, sera en mesure d’aider véritablement à la résolution du conflit.
L’intervention de la hiérarchie ou d’un tiers
Dans le cadre d’un conflit au travail, le tiers le plus souvent à même d’intervenir efficacement est le chef d’équipe ou le manager. La fonction de régulation des conflits fait en effet partie de ses attributions. S’il ne l’a pas repérée par lui-même, il est donc important d’alerter son n+1 de la situation conflictuelle existante. Si une règle a été enfreinte, à lui en effet de la rappeler aux protagonistes et d’exercer le cas échéant son pouvoir de sanction. Le n+1 se trouve également en situation d’arbitre sur bien des conflits au travail, c’est-à-dire en capacité d’indiquer clairement quels salariés « ont raison » et quels salariés « ont tort ».
Toutefois ces interventions managériales, si elles peuvent être efficaces pour régler des différends, sont souvent insuffisantes pour traiter des conflits, lesquels ont des causes bien plus profondes, de nature émotionnelle, qui ne demanderont qu’à se réactiver pour produire les mêmes effets. Mais, quoiqu’il en soit, le manager, et a fortiori le chef d’entreprise, se doit d’intervenir dans le cadre d’un conflit entre collègues de travail car, sauf improbable miracle, ces conflits ne se règlent pas d’eux-mêmes. Lorsque la situation génère trop de difficultés ou de souffrance, elle trouve bien souvent son débouché dans le congé maladie ou le départ des collaborateurs.
Confronté à la problématique du turn over et des difficultés de recrutement, le chef d’entreprise attentif à la productivité de ses salariés se doit donc de veiller à la qualité du climat de travail au sein de ses équipes et à agir de façon proactive pour régler les conflits relationnels. Il doit être en mesure pour cela de reconnaitre ses limites. Un bon manager sait identifier les conflits qu’il ne pourra pas résoudre efficacement et durablement par sa seule intervention.
La médiation pour résoudre les conflits entre collègues de travail
La médiation est un outil de règlement des conflits au travail particulièrement efficace. Fondé sur un processus structuré, elle vise à permettre aux collègues en conflit de s’écouter, se comprendre puis trouver par eux-mêmes des solutions à leur problème relationnel.
Le processus repose en premier lieu sur le médiateur, un tiers neutre et impartial, c’est-à-dire mêlé ni de près ni de loin à la situation conflictuelle en cause. Par son approche, sa posture, sa technique et sa déontologie, le médiateur parvient à mettre à jour les intérêts et besoins profonds des protagonistes, au-delà des positions conflictuelles exprimées.
Le médiateur s’entretient dans un premier temps, individuellement, avec chacun des salariés en conflit, se plaçant en position d’écoute active et bienveillante. Il informe les salariés des modalités et de la finalité du processus de médiation, et s’assure qu’ils y participent volontairement.
La (ou les) rencontre(s) de médiation proprement dite(s) se tient ou se tiennent par la suite, dans un cadre sécurisé dont le médiateur est le garant. L’ensemble du processus est confidentiel : rien de ce qui est dit en médiation ne peut être dévoilé, y compris à la direction de l’entreprise, sans que les parties en conflit ne le décident.
En pratique, la médiation pour résoudre les conflits entre collègues de travail est proposée par le chef d’entreprise, le manager ou le service RH. Elle peut être également suggérée par le médecin du travail, le CSE (comité social et économique) … ou demandée par l’un des collaborateurs directement concerné par le conflit.
Soumis à une obligation de résultat quant à la protection de la sécurité physique et mentale des salariés, les employeurs ont tout intérêt à utiliser l’outil de la médiation qui, dans 8 cas sur 10, aboutit à une résolution rapide et durable des conflits au travail qui affectent l’entreprise.