Conflit au travail

Risques psychosociaux au travail : comprendre, prévenir et agir

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« En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte. »

Herbert FREUDENBERGER – Burnout : le coût élevé de la réussite, Anchor Press Ed.

Les trois dimensions des risques psychosociaux (RPS)

Ce qui fait qu’un risque pour la santé au travail est psychosocial, ce n’est pas sa manifestation, mais son origine. Les risques psychosociaux désignent donc des situations de travail qui se caractérisent par des facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec la santé et le fonctionnement mental. Un document de référence sur le sujet est le rapport du collège d’expertise sur le suivi des RPS au travail, présidé par le sociologue Michel GOLLAC et restitué auprès du Ministère du Travail, de l’emploi et de la santé en 2011.

Les RPS comprennent trois dimensions, combinées ou non :

  • Du stress au travail, c’est-à-dire un déséquilibre entre la perception qu’un salarié a des contraintes que lui impose son environnement de travail, et de ses propres ressources pour  y faire face. Le sujet n’est pas le stress en lui-même, auquel nous nous adaptons,  mais la perception d’un seuil de stress dépassé, qui devient un risque pour la santé.
  • Des violences internes : harcèlement moral ou sexuel, relations conflictuelles inter-individuelles ou collectives
  • Des violences externes et incivilités venant des usagers, des clients, du public : insultes, menaces, agressions

Ces risques peuvent interagir entre eux : les violences externes, par exemple, peuvent entraîner du stress au travail et des tensions relationnelles.

La responsabilité de l’employeur dans la prévention des RPS

L’employeur est tenu de garantir la sécurité physique et mentale des salariés par des actions de prévention, de formation et d’information, et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés (art L 4121 du code du travail).

La règlementation impose que les RPS soient pris en compte de la même manière que les autres risques professionnels : Depuis 2001 l’employeur a obligation d’évaluer les risques professionnels, retranscrire les résultats de l’évaluation dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) mis à jour annuellement, et mettre en œuvre des actions de prévention. Dans les entreprises de plus de 50  salariés, les résultats de l’évaluation des risques doivent déboucher sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions des travail, intégrant le volet RPS.

Plusieurs textes d’origine conventionnelle traitent en outre de la prévention des RPS, tels que l’accord national interprofessionnel (ANI) du 2/07/08 sur le stress au travail, ou l’ANI du 26/03/10 sur le harcèlement et la violence au travail qui impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour prévenir tous comportements quipeuvent avoir pour « but ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’un salarié, affectant sa santé, sa sécurité.

  •  Des irritants aux RPS

Les irritants au travail qui se multiplient, quelle que soit leur origine, sont souvent le signe annonciateur de situations à risques qui, si elles ne sont pas identifiées et prises en charge, peuvent se complexifier. Ces irritants peuvent être définis comme ces ‘cailloux dans la chaussure’ qui, désagréables, n’empêchent pas de marcher mais ne partent pas tout seuls et doivent être pris en compte.

Les irritants sont aux risques psycho sociaux ce que le désaccord est au conflit : non pris en compte, il y a risque d’escalade.

Si les irritants sont parlés, entendus, ils peuvent s’éteindre après s’être enflammés. En revanche, s’ils sont de plus en plus fréquents, de plus en plus intenses, qu’ils s’inscrivent dans la durée, qu’ils engagent le registre émotionnel et prennent le pas sur les capacités de raisonnement et de mise à distance, les irritants « mutent » et se transforment potentiellement en déclencheurs de RPS.

Les grandes catégories de RPS

Michel Gollac classe les RPS en 6 catégories :

Intensité et charge de travail 

Il s’agit de risques générés par l’organisation du travail :  par exemple process flous, responsabilités diluées, articulations de missions aux frontières imprécises, recouvrement de tâches, sur-charge ou sous-charge de travail, multiplication de reportings perçus comme inutiles, monotonie des tâches, aléas, objectifs contradictoires ou irréalistes, apparition de nouvelles contraintes de travail (service posté, travail de nuit, polyvalence ..).

L’écart entre le travail prescrit, et le travail réel est inhérent à vie au travail. Entre ce qui est attendu (fiche de poste, procédures, objectifs) et tout ce qu’un salarié déploie d’habiletés et d’adaptations pour pouvoir réaliser effectivement ses missions et trouver un équilibre entre la demande, et les contraintes (matérielles, techniques, organisationnelles) auxquelles il est confronté.

Le travail réel n’est donc jamais réductible au travail prescrit, puisqu’il tient compte des réalités concrètes et des ajustements nécessaires, des compétences et du profil de chacun.

Dans certains contextes, cet écart « naturel » se grippe et se traduit par des injonctions contradictoires :

Comment à la fois atteindre des objectifs de vente qui nécessitent en front-office un dialogue de vente approfondi, et en même temps faire face à des files d’attente de clients pressés et impatients ?

Comment concilier pour un manager la demande de traçabilité des résultats de son service par des reportings et tableaux de bord qui prennent du temps, et la nécessité d’être sur le terrain au plus près de ses équipes pour aider à la réalisation des objectifs ?

L’écart entre le travail prescrit et le travail réel, inhérent à toute situation de travail, peut donc être source de difficultés quand il rend impossible le fait de réaliser le travail comme il devrait l’être, selon les bons gestes métiers, l’intuition, l’intelligence des situations, ou les « règles de l’art ».

Selon Yves CLOT, le travail empêché est source de souffrance psychique, et entrave non seulement la qualité de vie au travail mais plus largement l’innovation dans les organisations. Voir Yves CLOT, Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psycho-sociaux – Ed. La Découverte.

Le manque d’autonomie 

La latitude décisionnelle, qui inclut les marges de manœuvre dont un salarié dispose pour bien faire son travail, est considérée comme un facteur d’épanouissement dans le travail.

Le manque d’autonomie caractérise des situations où le salarié ne peut plus travailler selon ce qui fait sens pourlui, ou encore lorsqu’il n’est pas associé au changement et estime subir des réorganisations, des changements d’outils, de process, sans être acteur de sa vie au travail.

Il y a des années, un grand groupe parlait déjà de la « prise en compte des facteurs humains » dès l’initiation d’un projet, devant le constat que bien des projets perçus comme à dominante technique se heurtaient à un stade avancé à des problématiques RH qui auraient pu être résolues en étant instruites dès l’origine du projet. On oublie en effet parfois que les utilisateurs sont les mieux placés pour savoir ce qui fait sens dans leur travail.

Les rapports sociaux dégradés

71% des salariés affirment que la qualité relationnelle est le premier facteur d’engagement. Source : Baromètre Santé des salariés 2023 – IPSOS.

Vivre relationnellement bien au travail serait encore plus essentiel que d’autres facteurs d’engagement tels que trouver du sens à son travail, se sentir reconnu(e) ou avoir des perspectives d’évolution professionnelle …

Les difficultés relationnelles au travail sont l’une des premières sources de RPS : conflits, allégations de harcèlement, abus de pouvoir, dénigrement, humiliations, pratiques vexatoires, ingérence, accusations, bouc-émissarisation etc, la liste malheureusement est longue. Elles obnubilent celles et ceux qui les vivent et agissent comme un miroir grossissant qui met à distance les autres aspects de la vie au travail.

Les modes de coopération évoluent : dématérialisation, digitalisation, développement considérable du télétravail depuis le Covid, flex office … Les salariés doivent faire avec d’autres modes collaboratifs, plus distanciés, où les mots reçus par mail comptent parfois triple sans qu’il soit possible de pousser la porte d’à côté pour s’en expliquer.

Les régulations managériales se transforment aussi, les managers devant s’adapter à des équipes nomades, des temps de présence en pointillé, et parfois rarement toute l’équipe en présentiel dans son ensemble. Tel cette responsable de service qui souffrait de « l’éclatement » de son équipe : le télétravail était, selon elle, devenu un dû, qui amenait les salariés à résister à ses demandes de temps de présence « tous ensemble », une fois par mois en présentiel.

Le modèle de Karasek illustre la combinaison de ces trois premiers facteurs de RPS: les fortes exigences dans le travail, la faible latitude décisionnelle, et le manque de soutien social (collègues, hiérarchie). Le déséquilibre entre les fortes exigences et le manque d’autonomie est appelé « job strain » (« situation de travail tendue »).

D’après Robert KARASEK, , sociologue et psychologue américain, le risque psycho-social est à son plus haut niveau quand les facteurs suivants se combinent : trop forte charge de travail, manque de soutien du collectif et/ou de la hiérarchie, pas ou peu de latitude décisionnelle. Le modèle de KARASEK également connu sous le nom de modèle de demande-contrôle, est un outil d’analyse du stress au travail, développé en 1979.

Les exigences émotionnelles 

Elles sont particulièrement présentes dans les métiers en contact avec le public. Le fait de devoir contenir ses émotions, faire « bonne figure » en toutes circonstances ; ou encore rencontrer des situations (incivilités, agressions) qui exacerbent les émotions (peur, colère, détresse), est un facteur de RPS.

Par exemple, dans une équipe de travailleurs sociaux, des conseillers venaient en aide à des bénéficiaires très démunis, qui avaient besoin de proactivité, d’empathie et de soutien de leur part ; mais ces conseillers étaient eux-mêmes en proie à des tensions relationnelles très fortes, qui les mettaient dans des dispositions d’esprit tout à fait opposées à ce que leurs interlocuteurs attendaient d’eux.

Les conflits de valeur

Les situations de mal-être au travail peuvent être engendrées par le fait de devoir accomplir des missions qui vont à l’encontre de ses valeurs et convictions, ou perçues comme inutiles ou sans moyens suffisants par rapport au niveau de qualité souhaité.

Telle cette salariée, qui, nouvellement recrutée dans un grand groupe, exprimait qu’elle avait quitté le secteur dans lequel elle travaillait depuis plusieurs années car elle ne pouvait plus supporter de vendre des produits à des personnes qui n’en avaient pas besoin et qui, lui faisant confiance, les acquéraient en grevant leur budget, sans en avoir l’utilité.

L’insécurité de la situation de travail

Ce facteur de risque renvoie à l’incertitude face à l’avenir, des projets de transformation insuffisamment accompagnés qui créent de l’inquiétude, la peur de perdre son emploi.

Même dans les organisations qui offrent une sécurité de l’emploi, ce facteur existe : le seul fait de devoir changer de poste, de métier, assortis d’une mobilité géographique potentielle, est vécu comme particulièrement anxiogène, d’autant plus quand cela touche des personnes qui sont depuis des années dans le même poste de travail et dans une « zone de confort » permise par la connaissance fine et la maîtrise de leurs missions.

Le coût des RPS

Les RPS entraînent des risques pour la santé : irritabilité et débordements émotionnels, difficultés intellectuelles et cognitives, perturbations du comportement, dépression, burn out, maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques et psychosomatiques …

Ils ont des répercussions psychologiques pour les salariés qui les subissent : perte de sens, attitudes défensives ou offensives, évitement, isolement, rejet du changement..

Ils ont aussi un coût économique important pour l’entreprise : des coûts visibles, tels que absentéisme, turn-over, coût de remplacement des salariés absents, temps passé par la chaîne des acteurs en entreprise, à gérer  les situations. Mais aussi des coûts moins visibles, qui se situent dans l’angle mort des organisations : le désengagement progressif qui altère l’efficacité et la productivité, le retrait  d’un système organisationnel qui attend de ses membres qu’ils soient acteurs et investis, le déficit d’image et de notoriété de l’entreprise..

Le rôle de la ligne managériale

Les responsables hiérarchiques, au contact de leurs équipes, sont au cœur de l’identification des facteurs de risques et des leviers de prévention. Il appartient « au premier chef » aux managers de veiller à des organisations de travail qui préservent le sens au travail, la compréhension du rôle de chacun et la qualité des coopérations.

Les managers doivent également veiller à maintenir les situations de travail « sans risque », afin d’éviter qu’elles ne se détériorent, dans un objectif de prévention primaire. Ils ont à diminuer la portée des irritants, les empêcher de se répéter et de s’installer.

Nombre d’entreprises mettent en place des démarches auprès de l’encadrement, et notamment de l’encadrement de proximité, pour leur donner les clés de lecture des RPS et de leurs conséquences pour les salariés.

Document unique et prévention des RPS

Le document unique est un outil de prévention des risques, qui agrège l’analyse des risques professionnels présents dans l’entreprise, y compris les Risques psycho-sociaux.

L’analyse des risques identifie les facteurs de risques a priori par une approche sur les collectifs de travail,  – et non pas sur les salariés de façon individualisée – , afin de rechercher les causes potentielles et proposer des actions de prévention. La démarche d’analyse est axée sur les situations de travail, leurs caractéristiques, les risques possibles qu’elles présentent.

Cette approche de prévention peut aussi avoir pour origine, outre l’analyse des risques dans le document unique, des projets de transformation, une alerte (allégations de harcèlement, signalement par un élu du CSE, par un manager), ou un évènement particulier qui conduit à la mise en œuvre d’un diagnostic collectif.

L’analyse des RPS dans le document unique est réalisée de manière collégiale, c’est-à-dire paritaire et pluridisciplinaire, en associant les salariés et les élus du CSE, acteurs RH, managers, médecine du travail, préventeurs…. Le rôle du groupe pluridisciplinaire est de conduire l’évaluation à l’aide d’une grille, et de formuler en associant les collectifs de travail, des propositions d’actions formalisées dans le document unique.

Les acteurs RH et managers, à partir de la cartographie des risques, identifient les actions prioritaires de prévention et d’amélioration, leur phasage dans le temps, leur suivi, les hiérarchisent en fonction du niveau de criticité des risques identifiés.

Les actions d’amélioration portent sur la prévention primaire (éliminer ou réduire les facteurs de risque à la source, par exemple former tous les managers aux RPS), secondaire (détecter et traiter précocement les signes de risque, par exemple une formation « gestes et postures » pour des agents en contact avec la clientèle, ou un « brief 5 mn » quotidien pour renforcer la cohésion d’équipe) ou tertiaire (réparer et gérer les conséquences d’un risque qui s’est réalisé, par exemple une cellule psychologique d’écoute après une agression au travail).

Il peut par exemple s’agir d’actions portant sur la communication interne, sur le management, sur les modalités de participation aux projets portés par l’entreprise, sur la redéfinition des missions, des postes, des process, sur la clarification des délégations, sur les temps d’échange au travail, sur des formations pour développer les compétences face à des exigences de travail nouvelles etc.

L’analyse des risques n’est pas une fin en soi

L’évaluation des risques est statique plus que dynamique, à la différence des  baromètres annuels d’engagement des salariés qui reposent sur les réponses individuelles, agrégées ensuite à l’unité de travail, et dont les résultats sont comparés au baromètre précédent ;  le diagnostic RPS, basé sur une analyse collective, même si elle s’appuie sur l’expérience personnelle des salariés, donne une photo à l’instant T des risques au niveau du collectif, plutôt que sa mise en perspective dans le temps.

Le diagnostic des situations à risques est un outil. Il est un appel à l’action, un levier pour identifier ce qu’il faut faire pour prévenir la survenue effectives de risques identifiés, ou y remédier selon les situations.

Tout l’intérêt de la démarche réside donc dans les actions qui en découlent, et leur suivi. Trop souvent encore, le constat est fait dans les organisations, que les diagnostics existent mais que les actions ne sont pas au rendez-vous, ou perdues de vue.

Prévenir les risques en se parlant du travail

On vit l’essentiel de sa vie au travail, et pourtant, on se parle rarement du travail en lui-même.

Encore rares sont les entreprises qui instaurent et sanctuarisent sur la durée, des espaces de discussion sur le travail, qui permettent une respiration, un arrêt temporel dans des rythmes de travail soutenus et qui s’accélèrent en permanence.

La volonté de mise en œuvre de ces espaces a des origines anciennes, et date notamment des lois Auroux (1982 et 1986) qui visaient à favoriser la transformation profonde des relations sociales en encourageant la participation des salariés aux décisions organisationnelles. La psycho-dynamique du travail, notamment sous l’impulsion de Christophe Dejours, met en lumière ces lieux délibératifs où s’épanouit le « travail vivant », source de développement et de plaisir au travail – Christophe DEJOURS, Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie – Ed. Payot.

Dans ces espaces de dialogue,  les salariés sont invités à prendre du recul pour se parler du travail : non pas, comme dans une réunion d’équipe, de l’avancement des dossiers et des problèmes rencontrés, mais de leurs attentes, de leurs besoins, de ce qui est important pour eux, de leur regard sur les modes de fonctionnement et sur les dysfonctionnements qui les affectent.

Une grande entreprise a ainsi instauré des espaces de discussion autour de réseaux de managers exerçant le même métier dans des territoires géographiques différents: ils se retrouvaient, tous les 3 mois, accompagnés par un consultant interne, pour échanger sur leurs difficultés, leurs réussites, leurs préoccupations, dans des contextes d’activité proches bien que géographique éloignés, et qui parfois les laissaient dans l’incertitude de la direction à prendre en opérationnel. Ces temps d’échange leur étaient précieux pour partager leurs savoir-faire, leurs irritants, leurs ressources et leurs contraintes, et se nourrir de leurs expériences réciproques.

La portée du rôle du tiers dans les situations de RPS déclarées

Les tiers extérieurs – médiateurs, facilitateurs, consultants – sont appelés à intervenir dans les situations qui engendrent des RPS.

Il existe différentes approches, parmi lesquelles :

  • La médiation : espace de communication dans lequel des personnes, librement et volontairement, acceptent de s’exprimer dans le respect et l’écoute mutuelle, avec un tiers médiateur qui les accompagne pour aller le plus loin possible dans leurs échanges, sans prendre parti ni position. La confidentialité du processus  protège les échanges.
  • La facilitation relationnelle : il s’agit d’une forme de médiation préventive, lorsque des tensions apparaissent ou se multiplient, prises très en amont sans être encore installées. Ou encore lorsque des projets de changement, perçus souvent comme anxiogène, appellent à un travail en collectif pour accompagner leur mise en oeuvre.
  • Les espaces de discussion sur le travail : cf précédemment. Ils offrent un temps d’échange dédié permettant une prise de recul dans la vie de l’équipe.
  • Le diagnostic socio-organisationnel : sur les relations (socio) et sur l’organisation du travail, le diagnostic donne la parole individuellement à chacun(e), pour parler de son regard sur la situation de travail, mettre en exergue les points forts et de fragilité, et proposer des actions d’amélioration. Les constats et pistes  proposées sont ensuite partagés avec tous les participants et un plan d’action ressort de cette dynamique collective. La méthode permet d’objectiver les points de tension qui s’installent par exemple autour des process, de la répartition des tâches, des périmètres à clarifier, de l’accès réel ou perçu à l’information, des fragilités qui s’installent dans la communication et dans les coopérations, terreaux de potentiels conflits.
  • L’enquête harcèlement : Elle a pour objet, à la suite d’allégations de harcèlement moral ou sexuel portées auprès de l’employeur, de clarifier les éléments de la situation, de les mettre en perspective et de les analyser au regard des principes légaux. L’enquête fournit à l’employeur, en confidentialité et dans le respect de tous, un avis étayé lui permettant de prendre les mesures adéquates et d’exercer le cas échéant son pouvoir disciplinaire. Cette posture du tiers diffère des approches précédentes, dans lesquelles, neutre et impartial, il ne donne pas d’avis sur le fond.

Quelques exemples :

Dans une équipe de travail, les allégations de harcèlement moral qui avaient conduit au licenciement d’une salariée avaient laissé place à un traumatisme, facteur de division et de perte de sens au travail. D’autres départs et mutations avaient suivi.

Une médiation collective avait permis d’explorer les besoins et les attentes de chacun, et de constater que les mêmes aspirations, ne se traduisaient pas par les mêmes attentes. Mais personne n’en avait conscience. Tous considéraient par exemple que la bienveillance était un moteur essentiel de leur qualité de vie au travail, qui éloignerait les risques psycho-sociaux qui les avaient meurtris pendant la crise (anxiété, dépression, perte de repères au travail).

Mais chacun avait une définition très différente de ce qu’était la bienveillance : soutien de la hiérarchie, ou tolérance face aux risques d’erreurs, ou respect des contours de son poste par les autres, ou donner du feed-back régulier, ou développer la fréquence des échanges formels et informels, chacun avait sa propre représentation de la bienveillance. Le travail en médiation les a aidés à objectiver ces différences de perception ; l’équipe a pu créer les conditions pour que la bienveillance, ce fil conducteur perçu par tous comme la condition de relations restaurées, puisse s’exercer des uns envers les autres, en toute connaissance de cause.

Un autre collectif de travail fonctionnait depuis des années en « auto-gestion »,  en mode entreprise libérée, avec l’aval de tous. Chaque membre de l’équipe était autonome, responsable de son périmètre d’intervention, dans une relation client de qualité et reconnue comme telle. Des formes de régulations naturelles avec des leaders informels se mettaient en place en cas de tensions relationnelles. L’horizontalité prévalait sur la verticalité hiérarchique qui est habituellement la norme.

Jusqu’à ce que le renouvellement d’une partie de l’équipe et une sous-charge temporaire de travail, ne mette en difficulté les modes de fonctionnement établis. Un conflit inter-personnel violent éclate et entraîne la constitution de clans, chacun des deux protagonistes tissant un cordon de sécurité autour de lui par la recherche d’alliés. Les risques psycho-sociaux sont à leur maximum, la situation de crise contrastant avec la tranquillité qui entourait la vie au travail précédemment.

Un diagnostic socio-organisationnel permet alors d’aboutir à des constats partagés sur ce qui est réellement affecté dans le fonctionnement de l’équipe, au-delà de la partie visible du conflit. Mesurant les limites du mode de fonctionnement qui prévalait jusque-là, le collectif s’est mis d’accord pour  qu’un régulateur se pose auprès de tous dans une forme d’animation managériale portant non pas sur le travail, son contenu, ou son contrôle, mais sur la régulation des relations de travail et la prévention des conflits : une sorte de coordinateur non hiérarchique chargé de surveiller le thermostat et de prévenir les dérèglements.

Dans des cabinets médicaux, des changements de process entraînaient de profondes évolutions dans les relations de travail médecins/infirmières, pour lesquels l’organisation du travail était restée à peu près constante pendant des années. Les niveaux de confiance mutuelle étaient variables, alors même que les évolutions supposaient des délégations d’actes des médecins vers les infirmières. Des séances de facilitation relationnelle ont permis de travailler sur la communication et la qualité de la collaboration au sein des binômes, pour favoriser l’appropriation des changements et une coopération efficace dans ce nouveau contexte de travail.

Conclusion : Agir jusqu’au bout, et passer le relais

Catherine MIEG (J’ai mal au travail, parcours en quête de sens – Ed. François Bourin) évoque l’enjeu fondamental que représente le travail pour tout individu : « nous engageons tout notre corps dans le travail (…) fondamental en termes de santé mentale, mais aussi d’identité puisqu’il va permettre à la personne de trouver une place dans la société ». Elle souligne aussi ce qu’Aristote (« l’homme est un animal social ») énonçait il y a bien longtemps : nous n’avons pas vocation à vivre seuls ; elle ajoute que le travail agit comme un médiateur qui permet de contribuer au vivre-ensemble.

La santé est un enjeu majeur dans le monde en général et dans le monde du travail en particulier. La santé mentale peut se détériorer sans effets visibles, les salariés prenant sur eux, surinvestissant, surcompensant jusqu’à l’épuisement. Quand les signes se voient, il est souvent très tard. Les effets sont là, sur la personne, sur le collectif, sur le travail, sur l’organisation.

Alors, acteurs RH, managers, chefs d’entreprise, n’attendez pas : dans des contextes de conflits entre salariés, entre managers, entre managers et salariés, pensez prévention et RPS, parce qu’ils ne se règleront pas tout seuls :  passez le relais à un tiers quand la situation est enlisée et que vous avez le sentiment d’être au bout de ce qu’il était possible de faire.

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